Lettre jamais envoyée
— À celui que j’ai pas su retenir
Je sais même plus ton prénom.
Ou alors je l’ai jamais retenu.
On m’a dit que tu ferais le soutien. Que t’avais été formé vite fait, qu’t’étais volontaire, motivé.
J’ai levé les yeux au ciel.
J’ai râlé.
J’ai dit : « Pas le moment de tester des p’tits nouveaux sur le terrain. »
Mais on m’a dit que t’étais pas sous ma responsabilité directe, que j’avais d’autres choses à gérer.
Alors j’ai haussé les épaules.
Tu m’as souri dans le vestiaire, juste avant le départ. J’ai répondu par une grimace, ou un grognement. Peut-être rien du tout.
T’étais content d’être là.
Ça, j’me souviens.
Et maintenant j’me souviens de ton regard, aussi.
Quand on t’a ramené.
Pas besoin d’un médicomage pour savoir que c’était trop tard.
Pas besoin d’être proche pour que ça fasse mal.
Je sais même pas ce que t’as fait. Si t’as paniqué. Si quelqu’un t’a couvert. Si t’as sauvé quelqu’un.
Mais tu t’es retrouvé au mauvais endroit.
Et moi j’étais pas assez proche pour t’en empêcher.
C’est pas comme si t’étais mon binôme.
Pas comme si j’te connaissais.
Mais c’est arrivé sur ma mission.
Sous mes yeux.
Et maintenant, c’est mon problème.
J’ai récupéré ta baguette.
Ton badge.
Un chewing-gum à moitié mâché dans ta poche — j’ai hésité à le jeter, puis j’l’ai laissé dans un tiroir. C’est con, hein ?
J’en veux à l’équipe RH qui a signé ton ordre de mission.
J’en veux au gradé qui t’a trouvé “prometteur”.
Et j’m’en veux, un peu, de pas avoir gueulé plus fort.
Tu liras jamais ça.
Mais faut bien que quelqu’un te pleure, même mal.
Même sans prénom.
— F.