Lettre jamais envoyée
– À celui qui ne m’a pas appris à lui dire je t’aime
J’ai pas ton courage, tu sais. Toi, t’étais droit. Silencieux, mais droit. Moi j’ai le verbe haut, les poings prêts, et la rage qui déborde. T’aurais pas approuvé, j’crois. Ou alors t’aurais rien dit. Comme toujours. Un soupir. Un regard. Une main sur mon épaule, trop rare pour pas être un événement. J’me rappelle pas d’une phrase précise. Juste ton dos, le soir. Ton absence au petit-déj. Le journal qui se repliait sur ton torse quand on te faisait rire, Molly surtout. Tu souriais, mais à moitié. Et j’ai hérité de ça. Les sourires cassés, les demi-mots. Les trucs qu’on dit pas. J’ai grandi avec l’idée qu’il fallait être fort. Que c’était ça, être un Prewett. Fort, fier, discret. J’ai foutu ça en l’air. J’crie trop. J’me bats trop. J’pleure pas, mais j’ai envie. T’as jamais dit que t’étais fier de moi. Et maintenant, tu peux plus. Alors j’essaie de faire des trucs bien. Pour qu’on dise ton nom avec respect. Et parce que j’me dis que peut-être, là où t’es, tu regardes. Je sais pas ce que t’aurais pensé de tout ça. De la guerre. De ce que je suis devenu. Je sais pas si tu m’aurais retenu, ou accompagné. Mais tu me manques. Et merde, ça, je l’écris, même si je peux pas le dire. — F.
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