Nuit avant la première mission

J’dors pas.
Pas que ça surprenne qui que ce soit.

Gideon roupille dans la pièce à côté. Enfin je crois. Ou alors il fait genre. Il est capable. Le mec est capable de faire semblant de pioncer juste pour pas avoir à parler. Classique Dee.

Demain c’est notre première mission en binôme. “En duo”, comme ils disent, comme si on allait faire un numéro de trapèze.
Y’aura pas de filet.

Et moi je tourne en rond comme un con, dans cette pièce qui pue la lampe à huile froide et l’angoisse mal planquée. J’ai la baguette dans la main, comme si c’était un doudou.
Comme si ça allait suffire.

J’ai peur. Voilà. Écris-le, Fab. Pour une fois. Juste une fois. J’ai. Peur.
Pas de crever. Ça, on s’y fait. Mais lui… lui j’peux pas. J’peux pas qu’il tombe. Pas demain. Pas comme ça.

Je me dis qu’on est pas prêts.
Mais on l’est jamais, si ?
Alors on fait quoi ? On y va. On fait genre. On balance des sorts. On protège. On survit.

On revient ?

… j’espère.

Et Molly ? Elle sait pas. Elle sent peut-être. Mais elle sait pas.
J’veux pas qu’elle sache. J’veux qu’elle nous engueule dans trois jours parce qu’on a oublié de lui écrire.
J’veux qu’elle gueule, pas qu’elle pleure.

Je pourrais aller lui parler. À Dee. Lui dire que j’ai la trouille, que je veux pas qu’il joue les héros, pas demain.
Mais j’vais pas le faire.
Parce que s’il me dit qu’il a peur aussi, je vais me fissurer. Et j’ai pas le droit.

Alors je griffonne. Ici.
Sur une page qui sert à rien.
Dans un carnet qui pue le cuir moisi et les intentions mal placées.

On va y aller.
On va être brillants.
Ou on va crever.

Bonne nuit, Gideon.
Fais pas le con.

— F.

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